Et le bébé docteur ne nous fera plus peur

6 octobre 2014

Et le bébé docteur ne nous fera plus peur

Jean-Claude et son feu père. Ils font peur. L’unique fils de l’homme tout-puissant d’Haïti des années 60, nommé président à vie alors qu’il n’avait que 19 ans, l’un des plus jeunes chefs d’Etat qu’a connu le monde. Jean-Claude Duvalier, surnommé Baby Doc, aura passé sa vie entre honneur, puissance et démesure. Son père, avant de trépasser, lui avait légué 27 750 km2 de terre et de mer. Haïti lui appartenait. Le peuple, la faune et la flore, tout était à lui. Il pouvait tout faire. Exterminer qui il veut, protéger qui il veut, enrichir qui il veut, appauvrir qui il veut. Les échos de son pouvoir oppressif retentissaient dans les moindres recoins de la petite République.

A la chute de son empire, en 1986, un autre groupe accapare le pays. Haïti n’était plus la propriété d’un seul homme tout-puissant. Elle était devenue la proie de petits clans qui s’entredéchiraient pour avoir le monopole des exploitations de toutes sortes. Entre temps, Baby Doc entamait un long périple qui aura duré 25 ans en France. En janvier 2011, il revient à Port-au-au-Prince. Toujours entre honneur, puissance et démesure. Acclamé par une foule en liesse qui est allée l’accueillir à l’aéroport. Intouchable, en dépit des lourdes accusations qui pesaient contre lui. Il a continué à faire la fête sous les yeux des milliers de gens que son régime a torturés. Comme si le pays lui a toujours appartenu et lui appartiendra toujours.

La mort, ce 4 octobre 2014, a décidé que cet ancien dictateur président à vie parte à vie. Il est mort. Il n’est plus une menace pour ceux qui l’ont toujours redouté. En effet, même s’il était devenu inoffensif depuis son départ du pouvoir, Jean-Claude Duvalier recommençait à faire peur à son retour au pays en 2011. La liberté effrontée avec laquelle il vaquait à ses activités et la place prestigieuse qui lui était toujours réservée par le gouvernement actuel, lors des grandes cérémonies, représentaient une humiliation et une provocation pour la mémoire des familles exterminées sous son régime. Il faisait d’autant plus peur qu’il gagnait du terrain en popularité dans les sondages politiques. Il était même pressenti comme candidat aux prochaines élections présidentielles.

L’annonce de sa mort a provoqué un double choc. Un choc pour ses adeptes qui cherchaient à le ramener au devant de la scène politique. Un choc pour les victimes qui exigeaient justice et réparation. Jean-Claude Duvalier est mort. Il n’est plus possible qu’il redevienne président d’Haïti. Il n’est plus possible, non plus, qu’il soit jugé et condamné par un tribunal haïtien pour les torts que lui et son équipe ont causé à Haïti.

Mais, par-dessus tout, quelle leçon Haïti a-t-il retenu du passage des Duvalier qui ont atrophié l’histoire haïtienne pendant près de 30 ans ? 30 ans, c’est le temps qu’il a fallu à des pays comme le Canada, la Chine, le Brésil pour se développer et offrir des conditions de vie digne à leurs citoyens. 30 ans, c’est ce qu’il nous a fallu, nous autres haïtiens, pour permettre à un homme et à sa progéniture de devenir riche et puissant.

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