Le soir au Champs-de-Mars

19 octobre 2014

Le soir au Champs-de-Mars

Champs-de-MarsIl est 22 heures. Je suis au Champs-de-Mars. 22 heures, c’est très tard pour être au Champs de Mars. Normalement, c’est déconseillé d’y rester même à 19 heures. C’est l’endroit où tout peut t’arriver, même les choses les moins imaginables. Du moins, c’est ce que l’on dit. Alors, qu’est-ce que je fais là? Je n’en sais pas trop. C’est juste un soir comme tant d’autres où l’envie de me fondre dans le décor de cette place magique l’emporte sur celle d’être dans mon lit. J’y vais souvent, surtout le soir. Assis sur un banc, les pieds croisés, mâchant un chewing-gum, le regard perdu, j’essais d’observer plusieurs scènes à la fois. Les scènes sont surréalistes, saisissantes, suffocantes……….

Au Champs-de-Mars le soir, l’air s’agite, le temps s’arrête. La nuit étale sa noirceur sur toute la place, telle un drap géant qui cache un lit. Les quelques ampoules clairsemées, faiblement allumées, forment un contraste cynique dans la nuit. Entre le crissement du feuillage des arbres, le sifflement des insectes nocturnes et le bruit des bars mobiles, les gens se sentent libres. Libres d’une liberté dégantée. Ils s’en vont et s’en viennent, s’abordent et s’engueulent.

Au Champs-de-Mars, le soir, c’est un entremêlement d’âmes disparates venues de toutes parts. Il y a de jeunes garçons, l’air effrayant, qui fument de la marijuana, jouent aux cartes, au domino et à d’autres jeux. Ils portent leurs jeans sous les fesses, le torse nu, le corps tatoué, les cheveux tressés ou colorés. Il y a des jeunes filles aux corps gracieux et aux tenues aguichantes qui déambulent et s’exhibent. Elles se promènent, s’approchent des gens, font des saluts trop gentils. Elles sont jeunes, très jeunes, entre 16 et 20 ans. Elles ont tout pour plaire aux pervers amants de la bonne chair : les fesses dansantes, la poitrine pulpeuse et le regard innocent. Il y a aussi des gens venus de loin juste pour s’évader, respirer, observer…….. Il y a surtout des mendiants en haillons qui passent et repassent en quémandant des centimes. Ils semblent être les éternels résidents du Champs-de-Mars.

Au Champs-de-Mars, le soir, la pudeur s’endort. Les interdits s’envolent. C’est la désinvolture, la démence, le saisissement, l’accablement. Des jeunes amoureux qui se bécotent sans cesse, une adolescente qui enlève son soutien-gorge et se fait sucer les tétons par son copain, un couple trop excité qui s’arrange sous un arbuste et entame des ébats surchauffés. Des clochards allongés sur le sol, perdus dans un profond sommeil, comme si tout était calme, comme s’ils étaient dans un monde à part. Des chiens décharnés qui reniflent partout sur le gazon à la recherche de quelques miettes. Des scènes et des scènes…….un spectacle indescriptible.

Le Champs-de-Mars, au cœur de Port-au-Prince, la plus grande place publique d’Haïti. Autrefois, l’une des plus belles de la Caraïbe. Toute délabrée, elle garde encore un peu de son charme et de sa folie.

Si tu visites Haïti, je te propose de faire un tour au Champs-de-Mars un soir. On ira ensemble s’asseoir sur un banc, les pieds croisés, mâchant des chewing-gums, essayant de capter plusieurs scènes à la fois.

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