Nicxon Digacin

Et si les Haïtiens étaient un peuple résilient ?

Il y a de ces points de vue que j’hésite souvent à publier, car c’est tellement facile de se faire attribuer tous les noms négatifs en Haïti quand on exprime une opinion qui va à l’encontre de celle de la foule. Mais, bref, je m’y suis habitué avec le temps. Je ne m’en soucie guère… Et je place mon mot.

resilience-disaster-haitiQuoiqu’en dehors du pays et très occupé dans des activités professionnelles, je prends le soin de suivre les actualités d’Haïti. Surtout depuis le passage de l’ouragan Matthew, j’essaie de m’en informer au quotidien. En tant qu’Haïtien qui a vécu toute sa vie en Haïti et qui compte y rester en dépit de tout, en tant que citoyen très directement touché par la situation du pays, je crois que, nous les Haïtiens, nous devons commencer par nous regarder en face et prendre conscience de nos bêtises, nos laideurs, nos lacunes et nos échecs. C’est très gentil de se faire complimenter, mais c’est surtout très dangereux de se faire applaudir pour des qualités que l’on n’a pas. Il est temps, ceci depuis bien longtemps, que nous arrêtions de nous voir comme le peuple fort, la nation laborieuse, courageuse et fière. Nous ne sommes plus rien de tout cela depuis bien longtemps. Cet enfermement dans la prison de nos exploits passés nous empêche de voir que nous sommes dans le pire état que puisse se trouver un peuple. Et comment recouvrer sa santé si on refuse d’admettre qu’on est malade et qu’on a besoin de se faire soigner !

De la résilience à la résignation

Alors que de partout on nous envoie l’aumône en nous félicitant pour notre résilience, je constate qu’il manque à l’Haïtien cet ingrédient essentiel qui a permis à beaucoup de peuples de se relever avec fierté de situations catastrophiques ; ce même ingrédient qui nous a valu le titre de premier peuple noir indépendant : la résilience. L’Haïtien n’est plus un peuple résilient. La résilience suppose la capacité à se relever, se réorganiser et se reconstruire après avoir été terrassé par des tragédies. L’une des caractéristiques de la résilience est la capacité à se créer une image forte afin de se protéger de la pitié de l’entourage même si une fragilité intérieure demeure. « La résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit d’évènements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères » (M. Manciaux et coll., 2001).

Combien de tragédies avons-nous connues ? Comment les avons-nous gérées ? Nous sommes-nous mobilisés pour nous relever ensemble dans un élan de solidarité nationale ou nous sommes-nous seulement contentés de supplier la pitié d’autres peuples ? Nous en sommes-nous ressortis mieux qu’avant, réorganisés, mieux soudés ? Le constat est là, chacune des catastrophes qui nous frappent emporte avec elle une partie de nous et de ce que nous représentions dans le monde.

Nous sommes devenus plus pauvres, plus incompétents, plus mesquins, plus vulnérables, plus irresponsables, plus corrompus, plus dépendants. Absence de disposition préventive en cas de désastre, absence de stratégie post-désastre, absence de projet durable. N’était-ce pas la charité d’autres pays, nous ne serions même plus en mesure de survivre par nous-mêmes.

Arrêtons de nous venter, de scander que nous sommes un peuple résilient et courageux. Il y a une grande différence entre résilience, courage et résignation. Nous sommes aujourd’hui un peuple fainéant et découragé dont la plus grande force est la résignation. Nous n’avons pas perdu le sourire ni notre appétit pour la bamboche, pas parce que nous sommes résilients et courageux mais parce que nous acceptons notre condition de misère. Nous avons si longtemps attendu, les bras croisés, que notre pays devienne une place vivable, que nous devenions désespérés après tant d’années d’attente et d’inaction.

Voila ! Nous nous résignons. Nous n’avons plus d’espoir, plus d’attente. La condition dans laquelle nous vivons ne nous révolte plus. Informez-vous de ce qui se passe aux frontières de nos voisins vous comprendrez notre niveau de désespoir. Brésil, Colombie, Equateur, Argentine, Pérou, Mexique, Chili, etc. Ils sont dépassés par le flot d’immigrants illégaux haïtiens qui déferlent dans leurs frontières. Beaucoup d’entre eux meurent sur le trajet en cherchant à fuir la misère du pays. Nous ne croyons plus en notre capacité à construire ensemble un pays. Comme aime le dire un de mes anciens professeurs, nous avons perdu même notre capacité à avoir honte.

Et si nous étions un peuple résilient ?

Pour un peuple résilient, chaque catastrophe, chaque tragédie est une opportunité d’innover, de créer, de devenir plus fort et mieux muni contre les adversités. Moins de sept (7) ans de cela un séisme a tué plus de deux cent mille (200.000)  Haïtiens et détruit une bonne partie du département de l’ouest. Maintenant un ouragan a tué près d’un millier de gens et rasé des zones entières. Sans ajouter les différentes épidémies qui nous exterminent à petit feu. Nous semblons être les plus malchanceux sur la terre. Comme si le Bon Dieu ne veut plus de nous sur la planète. Mais saviez-vous qu’Haïti n’est pas le seul pays au monde à être régulièrement frappé par de graves catastrophes naturelles ? Le problème, ce ne sont pas les catastrophes. Le problème, c’est nous.

Nous ne pouvons pas éviter les catastrophes naturelles, il y en a que nous ne pouvons même pas prédire. Mais nous pourrions, si nous nous entendions pour le faire, construire les infrastructures préventives adéquates pour éviter d’avoir autant de pertes. Si après chaque désastre naturel nous construisions de nouvelles infrastructures adaptées, nous serions aujourd’hui un pays fort, muni de grandes infrastructures. Si après chaque catastrophe nous élaborions et appliquions de nouveaux plans, nous aurions aujourd’hui un peuple avisé et bien aguerri qui ne s’agenouille pas face aux tragédies.

Malheureusement nous nous comportons toujours en victime. Nous ne sommes responsables de rien. Tout ce qui nous arrive est la faute de quelqu’un ou de quelque chose. Au lieu de faire travailler notre matière grise pour trouver la bonne formule qui nous permettrait de construire ensemble un pays vivable pour tout le monde, nous préférons nous plaindre et sombrer dans la passivité.

Je suis impatient de voir mes concitoyens se réveiller de leur hébétude, se serrer la ceinture, se révolter et prendre leur destinée en main. Je suis impatient de voir mon peuple arrêter de faire pitié au monde entier. Je suis impatient de voir mon peuple redevenir travailleur, ambitieux, courageux et fier. Je suis impatient de voir mon peuple retrouver sa résilience d’antan et tirer profit de tous ses déboires.


Dieu nous a-t-il créé avec tout ce dont nous avons besoin pour décider, agir et vivre la vie qui nous plait ?

Ce blog n’est pas un espace pour parler de mes croyances religieuses ni pour faire la promotion d’une doctrine quelconque. Mais je me permets d’y publier cette petite réflexion que j’ai faite au cours du weekend dernier, après avoir reçu des messages de quelques amis me souhaitant courage en me disant que « tout ce qui arrive est la volonté de Dieu ».  Il y en a à qui j’ai répondu : « Mais non, ce n’est pas que la volonté de Dieu, c’est aussi la mienne ».

Dieu nous a-t-il créé avec tout ce dont nous avons besoin pour décider, agir et vivre la vie qui nous plait ?A mon avis, cette attitude à tout mettre sur la responsabilité de Dieu est parmi les plus dangereuses chez les gens qui se disent chrétiens. Ma motivation pour la publier ici vient surtout du fait que cette façon de raisonner n’est pas seulement l’apanage des chrétiens mais de toute la population haïtienne.

« Tout ce qui arrive est la volonté de Dieu » !? Je réponds NON. Tout ce qui arrive n’est pas la volonté de Dieu. Il ne nous a pas crées comme des robots à qui le moindre geste doit être dicté. Il ne nous a pas créés comme des handicapés mentaux et physiques qui auraient inlassablement besoin d’assistance. Il nous a créés semblables à lui. Donc il nous a dotés de pouvoir, de capacités et de liberté de prendre des décisions.

L’une des premières indications de Dieu à l’Homme à été de lui rappeler qu’il est un Etre libre de prendre une décision, qu’il est libre de choisir lui-même sa façon d’agir. Bien sur Dieu lui a aussi expliqué les bonnes et les mauvaises façons d’agir et leurs conséquences. Mais cela ne change en rien sont statut d’Etre libre, doté de pouvoir et de capacité à décider d’agir de telle ou telle autre façon. Relisez l’histoire d’Eve, d’Adam et des fruits défendus dans le jardin d’Éden…

Un échapartoire collectif pour ne jamais se sentir coupable de rien

« Quand quelque chose arrive, c’est que cela devait arriver de toute façon et que cela aurait quand même arrivé même si on avait agi différemment ». C’est la réflexion la plus simpliste et la plus rachitique que je n’ai jamais entendue. C’est le meilleur prétexte de ceux qui ne veulent jamais progresser ni prendre conscience de leurs irresponsabilités et de leurs bêtises. La plupart des évènements de notre vie arrivent parce que tout simplement nous l’avons voulu ainsi, parce que nous avons agi de manière à ce qu’ils arrivent ainsi. Si vous n’observez pas les principes de prévention et que vous attrapiez une maladie, ce n’est pas la responsabilité de Dieu mais la conséquence de votre comportement. Si vous ne cherchez pas d’emploi et que vous passiez votre vie dans le chômage, ce n’est pas parce que le dessein de Dieu était que vous soyez un éternel chômeur mais parce que vous êtes un vrai paresseux.

Nous attendons un changement en Haïti depuis plus de deux siècles. Nous refusons d’accepter que c’est à nous de faire ce changement et que Dieu a déjà fait son travail en amont avec les pouvoirs et la liberté qu’il nous a légués lors de notre création. En mettant à notre disposition tous les ingrédients nécessaires pour bien vivre, Dieu nous a aussi laissé la liberté de les utiliser à notre guise. Donc nous sommes l’unique concepteur et seuls responsables de la plupart des choses qui nous arrivent.

Comme une mère admirant son fils qui fait son lit tout seul en utilisant les conseils qu’elle lui a donnés, Dieu est admiratif quand nous utilisons les capacités et dons qu’il nous a donnés pour traverser nous-mêmes les moments de la vie comme des enfants matures et responsables.

Nous aurions une meilleure société avec des gens honnêtes capables de regarder en face leurs bêtises et assumer leurs responsabilités, si nous arrêtions de chialer et de tout mettre sur la responsabilité de Dieu. Nous aurions fait énormément de progrès si nous acceptions que certains échecs ne sont que le fruit de nos bêtises et que certains exploits ne sont que les résultats de nos bonnes actions.


Le paradis inachevé

Le paradis inachevéLe soleil disparaît tranquillement à l’horizon, comme si la mer l’engloutissait par petit bout. La pénombre prend forme lentement et s’accouple avec la voile jaunâtre du coucher du soleil. Elles accouchent une couleur indescriptible dont le reflet rebondit sur la surface de l’eau. Ce phénomène est notre attraction préférée quand ma dulcinée et moi venons passer nos week-ends à la plage ici à Petit-Goâve. Comme toujours, cet après-midi au cœur de la baie soulouquoise nous saisi par sa beauté et sa clémence. Nous n’avons pas envie de repartir…

Nous restons allongés sur le sable, nos faces dévisageant le ciel, nos pieds dans l’eau léchés par les vagues.

« J’aimerais que tu écoutes cette musique, chérie. C’est tout ce que j’ai envie de te dire, I will always love you », lui chuchotai-je d’une voix mesurée en enlevant mes écouteurs pour les placer à ses oreilles. Elle esquisse un sourire, me prend la main, entrelace nos doigts et les serre très fort.

Je me retourne sur le coté, l’entoure d’une main et caresse ses cheveux avec l’autre. Je la contemple des orteils aux cheveux. Je n’ai jamais vu une femme aussi belle. Cela fait déjà un an depuis que nous sommes ensemble, mais je la trouve toujours plus belle à chaque fois. Sa beauté ne cesse de m’émerveiller.

Son corps reposant dans le sable me fait rêver. Il est d’une symétrie qui dépasse la perfection. Ses lèvres pulpeuses violâtres ressemblent à des tranches de caïmites soigneusement découpées. Ses seins bien arrondis, légèrement dissimulés sous le soutien-gorge, me font couler de la salive. Sur son ventre plat, où sommeillent des grains de sable et de petites tâches de sel, son nombril forme une cachette où se réfugierait volontiers une langue en quête d’exil. La courbe de ses côtes rétrécis chute à l’angle de ses hanches bombées, telle une pyramide inversée… Une invitation à la capitulation !

Elle ouvre les yeux, me fixe l’instant d’une seconde, me tire vers elle et commence à m’embrasser avec rage. Elle me tripote les fesses et m’agriffe comme une chatte en chaleur.

D’un élan vif elle se lève et me traîne derrière elle en courant jusqu’à l’arrière d’une barque abandonnée. Elle s’agenouille pour m’enlever le caleçon quand, soudain, mon téléphone commence à sonner.

Je sursaute. De peu, j’ai failli tomber de mon lit. C’est l’alarme qui a sonné. Il est 5 heures. Je dois me préparer pour aller au travail.

Tout cela n’était qu’un rêve ? Quel gâchis !


Qu’ont-ils fait de notre dignité ? *

Qu'ont-ils fait de notre digniteEn lisant un journal, le weekend passé, j’ai trouvé une annonce pour un poste vacant dans une ONG internationale qui travaille Haïti. Comme je cherche du travail et que j’ai les qualifications requises pour le poste, je me suis décidé à postuler.

Arrivé au local de l’ONG, j’ai trouvé une longue file de personnes qui attendaient debout devant la barrière, sous un soleil ardant, ayant chacune une grande enveloppe jaune à la main. Ils se piétinaient, s’engueulaient, se bousculaient. Leurs visages décharnés, crépis d’un mortier de sueur et de poussière, évoquaient les visages de nos ancêtres sur les négriers. Un peu découragé, je ne voyais pas comment j’allais faire la queue dans cette ligne qui ressemblait à un volcan en éruption, où près d’une trentaine de personnes me précédaient. Je n’avais pas le choix. J’ai absolument besoin d’un emploi. Je me suis résigné. J’ai fait la queue. Le soleil chauffait tellement fort sur ma tête que j’arrivais à peine à respirer. Les voitures qui passaient à toute vitesse nous couvraient de poussière.

Ces scènes d’humiliation se jouent tous les jours devant les locaux des institutions qui recrutent. Qu’ont-ils fait de notre dignité?

On a attendu près d’une heure avant que le gardien, un entre-deux-âges de très grande taille, avec son fusil en bandoulière, le front plissé, ouvre la barrière. Puis, comme un bourreau à des prisonniers que l’on s’apprête à exécuter, il nous fait signe de lui remettre les enveloppes. L’un après l’autre, on s’exécute mais la ligne était interminable parce qu’à chaque instant de nouveaux postulants arrivaient.

De retour chez moi. L’esprit soucieux, je me questionnais sur le sort  qui attend ces CV quand on sait que, tout le monde le sait, d’une part, les gardiens qui ramassent les CV ont très souvent des proches qu’ils cherchent à privilégier. Ainsi, parfois ils n’acheminent pas tous les dossiers reçus au recruteur, pour augmenter la chance de sélection de leur(s) proche(s). Quelle chance mon CV a-t-il donc d’arriver au recruteur? Seuls un heureux hasard et la providence, si cela existe, éviteraient à mon CV d’être dans le lot que ce gardien ne remettra pas à son patron. D’autre part, l’ONG accepte des centaines de CV alors qu’il n’y a qu’un seul poste vacant. Vont-ils se donner la peine d’examiner tous les CV qui leur seront parvenus? En outre, ce n’est pas moi qui l’invente, c’est une réalité ici: beaucoup d’institutions – particulièrement celles du secteur public – ne publient des offres d’emploi que pour donner l’impression d’avoir une politique de recrutement équitable alors qu’en réalité le recrutement se fait parmi les amis ou les membres de familles des grands potentats de l’institution. Et si cette ONG n’est pas différente de ces institutions-là, que puis-je espérer après tous les sacrifices que j’ai faits pour leur apporter mon CV?

Ce sont ces mêmes questions que se posent chacun de ces jeunes, comme moi, en quête d’un mieux être, qui étaient à la queue leu leu comme de vulgaires naïfs devant la barrière de l’ONG. C’est le même sort qu’ils portent tous sur leurs épaules et dans leurs entrailles rongées par la misère et le désespoir. Ce sort suit, dès la naissance, chaque Haïtien dont aucun membre de sa famille n’a une histoire dans l’oligarchie haïtienne. Entre frustration et désespoir, je ne sais pas quoi choisir. Mais les deux sont en ébullition en moi, comme ils le sont, d’ailleurs, en chaque individu qui se voit refuser toute chance d’essayer d’avancer dans la vie.



* J’ai écrit ce texte en été 2010, deux jours après avoir vécu l’enfer en cherchant du travail. Aujourd’hui j’ai un boulot, mais les choses n’ont pas beaucoup bougé en 5 ans. Je viens d’être témoin d’une scène pareille à celle que j’ai vécue en 2010 et décrite dans le texte. Cela m’a interpellé et j’ai décidé de republier le même texte, car les choses n’ont pas vraiment changé pour mes frères. 


…et tu es partie pour ne plus jamais revenir

 

Un petit bout de poésie pour casser le rythme

Partie sans revenir

Par ces nuits sans sommeil qui s’entrecroisent dans mon lit

Tel un cadavre dans son sépulcre qui doit réapprendre à mourir

Je remets des couches de chair aux ossements de nos souvenirs

Et je revois ton corps vidé qui s’échoue sur le mien

Ta tête sur ma poitrine

Tes cheveux défaits qui se perdent dans mes narines

Ton souffle qui caresse ma nuque

Le cillement alangui de tes paupières qui s’éteignent

La pureté de ta nudité qui s’étale sur moi

Tel un nuage blanc dans le ciel obscur d’une nuit fragile

Nos corps transpirant entrelacés dans les draps défripés

Essoufflés entre deux galipettes surdosées

Les débris de nos envies déchaînées renaissaient toujours

Par petit bout, tour à tour

On se désirait encore et toujours

Sans toi, ma demeure n’est que géhenne.